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Tag - Intelligence artificielle

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lundi 19 novembre 2012

Science-fiction, mystique et romance

La science-fiction s'insinue de plus en plus dans la littérature et le cinéma. Les gadgets des maîtres espions extrapolent les recherches militaires de pointe (avec de plus en plus de peine d'ailleurs). Les évocations de passés imaginaires, même s'ils sont peuplés de sorciers et de vampires poussièreux, se prêtent aux révélations de destinées galactiques. Les épopées pseudo religieuses et les libres spéculations d'auteurs célèbres réinterprètent les musiques de l'univers... Et parfois même le roman le plus réaliste, le mélo le plus fangeux, nous balance, au détour d'un dialogue graveleux, sa petite chanson prémonitoire d'une transformation prodigieuse quoique nullement miraculeuse. Les songes des chamanes et les flashs des drogués rejoignent les délires scientistes.

De fait, la science-fiction est devenue une forme majeure de la poésie et de la pensée contestataire. On peut y voir un reflet de notre difficulté à supporter cette époque : la certitude de catastrophes humaines planétaires dans les 50 ans à venir, le souvenir pitoyable de nos ancêtres qui se sont tant battus et ont tant peiné au nom de valeurs qui n'ont plus cours, le maintien sous autohypnose des populations... Nous avons besoin de finalités accessibles à notre imaginaire, et d'un sens de nos vies vers ces finalités. Nous avons aussi besoin, c'est plus récent sous cette formulation, de la croyance dans l'harmonie de nos finalités avec l'univers que nous habitons, et d'un apprivoisement de nos créations mécaniques logicielles dans cet univers - autrement dit, pour faire savant, nous revendiquons une certaine "maîtrise de la complexité", et peut-être un jour serons-nous enfin prêts à payer de nos personnes pour l'atteindre. La science-fiction nous offre précisément tout cela.

En retour de sa reconnaissance nouvellement acquise et de la diffusion de ses thèmes à l'intérieur des autres genres, la science-fiction est menacée par l'opportunisme marchand. Des oeuvres massives sont conçues à partir de croisements calculés des thèmes porteurs qui font vendre. Des volumes sont produits par des professionnels qui, à une autre époque, nous auraient abreuvés de romans populaires, de livrets d'opéra, de tragédies, selon la mode du moment. C'est dans la nature des choses. Ainsi, la science-fiction marchande s'écarte de ses origines poètiques, jusqu'à se réduire dans certaines productions à une technique de décor, l'analogue littéraire des effets spéciaux au cinéma. Bref, elle tend à devenir un produit dérivé valorisant, dans le vacarme médiatique programmé par nos maîtres manipulateurs. La mauvaise science-fiction est ainsi devenue l'alibi des faux penseurs, non seulement dévoreuse de notre temps libre, mais porteuse des présuppositions abrutissantes de notre époque, sous d'allèchantes couvertures, pour notre distraction confortable sur thèmes rebattus à l'intérieur d'imaginaires sur étagères.

A l'opposé, la bonne science-fiction ne se prive pas de nous éblouir, mais elle le fait par nature, non par finalité, car sa vocation est de déranger nos certitudes, de nous inviter à étendre le champ du possible.

Nous avons déjà dans ce blog abordé la question de "l'homme contre la machine" - dans le billet Dick, l'homme, le robot -, thème récurrent et fausse question de la science-fiction de pacotille (et de la pseudo science), que les grands auteurs, dont Ph. K. Dick, ont su dépasser et ridiculiser.

Poursuivons la critique de la science-fiction contemporaine, et voyons sur un exemple comment elle peut servir à véhiculer des certitudes débilitantes, par une sorte de choc en retour du roman "populaire" qu'elle a envahi.
caprica_dvd.jpg

La série Caprica (Universal Studios, disponible en DVD) est un cas typique. De notre point de vue, cette série contient du bon et du moins bon. Nous en proposons une analyse originale

Présentation résumée de la série Caprica
Caprica est une préquelle de la série Battlestar Galactica (version 2003, Universal Studios), dont elle tente d'expliquer l'univers de départ et en particulier la révolte des cylons, créatures artificielles dont certaines ont l'apparence et le comportement humains.
Disons en passant que Battlestar Galactica est à juste titre une célèbre oeuvre cinématographique de science-fiction, dont l'intérêt dépasse largement la relation d'un affrontement épique.

Revenons à Caprica. Au début, les cylons n'existent pas encore. On voit seulement quelques robots mécaniques capables de fonctions gadgets programmées. La série se déroule dans le monde rétro-futuriste d'une autre galaxie, et relate les événements qui conduisent à la création de robots autonomes à partir d'une transplantation d'esprit humain digitalisé. Ces événements sont liés à l'histoire de deux familles, ce qui fait de la série Caprica une saga familiale sur fond de science-fiction. On y retrouve donc des ressorts d'oeuvres littéraires fleuves du genre, dont la série Fondation d'Issac Asimov, Endymion-Hyperion de Dan Simmons, etc.

L'état des extrapolations techniques au début de la série Caprica
Il s'agit du niveau d'anticipation par simple extrapolation du progrès des techniques par rapport à notre situation présente.

  • Les programmeurs d'ordinateurs utilisent des sortes de tablettes tactiles où ils font défiler spectaculairement des signes représentant sans doute des logiciels (est-ce une interprétation libre de ce qu'on appelle la programmation par objets, ce n'est pas évident)
  • Le perfectionnement de robots tueurs est un programme de recherche financé par le gouvernement, provoquant une concurrence féroce entre deux sociétés du complexe militaro industriel
  • Un jeu animé par des ordinateurs en réseau permet aux joueurs de projeter leurs désirs dans un monde virtuel qu'ils peuvent adapter à leur convenance par groupes d'affinité (règles du jeu, environnement, etc)
  • Ce monde virtuel est accessible de n'importe où au moyen d'un serre tête hypnotiseur appelé "holoband"
  • Les avatars des joueurs dans le monde virtuel sont reconnaissables; c'est un monde virtuel où l'on se retrouve.

Au total, le monde virtuel de Caprica est un croisement entre un réseau social et un MMPORG (jeu massivement parallèle). Et globalement, on constate que le niveau d'anticipation, au début de la série Caprica, est relativement bas.

Les anticipations originales de la série Caprica
Voici maintenant ce qui fait de Caprica une série de science-fiction.

  • l'avatar numérique du joueur peut être boosté pour devenir porteur de sa mémoire, de l'intégralité de ses capacités intellectuelles, de sa personnalité, ...
  • cet avatar numérique peut être transféré vers un robot.
  • le robot - soldat - automate ainsi "autonomisé" devient un être pensant et communicant (quoique limité par construction dans ses moyens d'expression)

Il est suggéré, à la fin de la série, que ce robot pourra un jour être constitué à partir de matériaux bios, pour ressembler à un être humain. A ce stade, la création d'un être artificiel mais génétiquement compatible n'est pas envisagée. A la fin de la série Caprica, il reste donc un pas de géant à faire avant d'entrer dans le contexte de Battlestar Galactica. Remarque en passant : les analogies et les différences avec Frankenstein sont édifiantes, nos peurs et nos mythes sociaux ne sont fondamentalement plus ceux des siècles récents.

Les limites, approximations, facilités, démissions,...
Signalons quelques conventions et incohérences typiques du genre.

  • Le savant foldingue est un héros romantique ordinaire; sa culture "scientifique" se manifeste surtout par la faiblesse de son sens éthique, heureusement qu'il compense par d'autres sens, car il apparaît comme un être ballotté par les événements, plutôt réactif zozotant qu'actif responsable...
  • La découverte du siècle est l'oeuvre intime et personnelle d'une ado rebelle géniale issue d'un milieu très favorisé, complètement aveuglée par sa révolte, inondée par ses pulsions,...
  • Le monde virtuel est un "jeu de la vie" amélioré où chacun peut prendre des risques excitants, alors que la vie réelle est un jeu trop contraint dont il est normal de chercher à s'évader,
  • Les seuls vrais contestataires sont des terroristes sectaires obnubilés par leurs visions transcendantes et totalitaires,
  • Il y a des gens biens dans la vraie maffia, et notamment des orphelins de génocide qui finissent par y trouver de vrais amis qu'ils aident à prendre le pouvoir,
  • L'être humain véritable n'a rien à voir avec une machine parce qu'il pense et qu'il a une âme sensible; mais il conçoit des machines qui ont des sentiments et des croyances, des préférences et des doutes; où est l'erreur ?
  • etc.

Conclusion
Avec l'exemple de Caprica, et par une analyse rapide, nous pouvons distinguer le contenu de vraie science-fiction parmi les relents du roman héroïque et sentimental. La littérature d'horoscope et les journaux people sont des remèdes pour les esprits troublés; leurs effets secondaires sont connus. Au contraire, la science-fiction authentique n'a rien d'un tranquillisant. Comme nul ne peut s'abstraire de son époque, on doit admettre que tout est dans le dosage entre les anticipations originales et les concessions au présent qu'il s'agit de dynamiter. Caprica est une série intéressante mais ce n'est pas Blade Runner.

mardi 20 mars 2012

Dick, l'homme, le robot

La quatrième de couverture des livres est faite pour accrocher l'acheteur potentiel de passage.

Celle de l'ABC Dick d'Ariel Kyrou (Editions inculte, 2009) affiche une phrase choc : "Le robot est un humain comme les autres".

ABCDick_livre.jpg

A la lecture du livre, et en particulier l'article "robot", il apparaît que cette phrase n'est pas de Dick.

Il est permis de faire des contre sens sur Ph. Dick. C'est un auteur profond, provocateur, original, malicieux parfois...

Qu'il nous soit donc permis d'affirmer qu'à notre avis, Ph. Dick était trop malin pour écrire une phrase définitive sur le robot et l'humain, sauf en la plaçant dans les pensées d'un personnage de ses nouvelles, ou à titre de moquerie des esprits raisonnables.

Sur le fond, "Le robot est un humain comme les autres" est une phrase typiquement littéraire, au sens où on peut en disserter sur des centaines de pages, sans que rien n'en sorte. Pourquoi prenons-nous ici l'adjectif "littéraire" dans un sens aussi péjoratif ? Parce que, sous un aspect sensationnel, l'affirmation repose sur une vue naïve de la "science", et passe à côté d'un vrai scandale qui serait riche de conséquences.

Un scandale fructueux se dissimulerait plutôt dans une affirmation moins choquante a priori telle que : "l'homme est une machine qui vit de théories contre nature, un parasite social de lui-même". Ou bien, selon une formulation différente mais aux conséquences similaires, dans les paroles du poète "Objets inanimés, avez-vous donc une âme, Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?" (Milly, Lamartine).

Au contraire, la naïveté "littéraire" se caractérise par l'attribution d'une existence propre aux créations humaines, avec une capacité de dialogue et d'interaction avec les hommes qui les ont créées. Dans le cas du robot, cette pseudo personnalisation de la création humaine mécanique n'est pas qu'une figure de style, c'est une ineptie. En effet, par nature, le robot est une machine construite par l'homme; il n'y a malheureusement rien d'autre à en dire lorsqu'on commence une phrase à prétention essentielle telle que "le robot est...".

Et l'intelligence artificielle ? C'est le nom d'une discipline de l'informatique, il s'agit donc encore de mécanique. Démontons-la un peu, nous allons y découvrir le ressort des ambiguités et des pesanteurs qui nous servent à nous abuser nous-mêmes, très volontairement, littéraires et scientifiques.

Lorsque nous disons qu'une machine de Turing, disposant seulement de fonctions de recopie et de substitution (analogues aux procédés humains d'imitation et d'invention), est le plus puissant type d'ordinateur concevable jusqu'à présent, nous nous appuyons sur un ensemble de théorèmes, notamment ceux qui démontrent l'équivalence entre ce type de machine et les fonctions récursives. La machine de Turing et les fonctions récursives sont de pures créations mathématiques. Mais cependant, par notre langage et par le fonctionnement de notre pensée, nous induisons une interprétation des facultés basiques de l'intelligence, dont les conséquences peuvent paraître formidables mais sont par essence tautologiques (un juriste dirait sui generis) parce que cette interprétation résulte d'une projection imaginaire de nous-mêmes sur des entités mécaniques qui ne disposent d'aucune fonction de théorisation autonome de leurs actions - fonction que nous sommes incapables de définir. Nous faisons le même genre de projection de nous-mêmes sur toutes nos théories, nos modèlisations, nos oeuvres... que le langage courant appelle justement nos "conceptions". C'est toujours nous-même que nous trouvons sans cesse ou croyons inventer, surtout dans les constructions que nous croyons les plus audacieuses et les spéculations les plus abstraites.

Comment ne pas voir ici une preuve pratique que nous sommes des machines avant même d'être des animaux ? Il pourrait être utile d'en tirer une éthique sociale qui nous permettrait de fonctionner en tant que machines, de vivre en tant qu'animaux, d'exister en tant qu'humains, au lieu de nous enfermer dans des théories sur l'humanité, ses valeurs et son destin en miroir instantané de nous-mêmes. Autrement dit, le vrai scandale à méditer, c'est que l'être humain aspire à la machine !

D'ailleurs, pour en revenir au robot, nous ne pouvons pas imaginer un robot qui soit autre chose qu'une machine construite par l'homme, ou en version grotesque, un bonhomme emballé dans une apparence mécanique, un genre de père Noël, de Nounours ou d'extraterrestre qui comprend spontanément nos désirs. Littéralement, une rencontre avec une machine construite par un non humain nous est inconcevable. Soit nous n'apercevons même pas son existence, soit nous sommes incapables d'en faire la distinction avec un être naturel.

mercredi 31 août 2011

Notre Web échomatique

Il se dit que les réseaux sociaux du Web abritent un foisonnement des idées, des débats passionnés, et qu'ils peuvent accélérer des révolutions.

La simple répercussion de rumeurs et la propagation de mots d'ordre, en échos automatiques, donnerait la même production.

D'ailleurs, constatons, même dans les blogs de réflexion écrits en français, l'évolution machinale de la langue des commentaires. L'orthographe est celle d'un automate correcteur à partir d'une reconstitution phonétique ignorant le contexte. La syntaxe est celle d'un rap enroué. C'est bien que la redondance du contenu permet de tout supporter sans difficulté.

Oua l'or on sait mâle con prix.

Dans notre Web des échos, il manque un emoticon pour dire "je suis d'accord mais je le dis à ma façon", et un autre emoticon pour dire son opposition, avec insultes de saison.

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De même, l'art des grands résonateurs de l'actualité sur le Web n'est qu'arrangement et reprise. Leur technique de composition est la comptine en kyrielle, enchaînant des nouvelles du jour avec des mots d'ordre choisis dans le stock des propagandes en cours, selon un modèle de présentation pris parmi les standards de leur milieu.

Or, toutes ces productions, premières et secondes, pourraient être confiées à des automates intelligents. En effet, elles ne requièrent que trois fonctions actives : découper, substituer, recoller. Avec une mémoire réduite à l'actualité, une alimentation en arguments publicitaires, quelques modèles de départ, un zeste de logique probabiliste pour la créativité, hop, le logiciel nous fait la chronique du jour et les commentaires en prime !

Si le message est différent du media, alors le message, c'est que nous nous prenons pour des machines.

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